Le fils de l'arbre : Fofana Libar d'après A.C
Message posté le 25/11/2005 par M.B et rédigé par A.C
LE FILS DE
L’ARBRE, Roman de M.
Libar FOFANA, Editeur
Gallimard « Continents noirs »
Une écriture qui va à l’essentiel. C’est le premier ouvrage d’un auteur guinéen qui démontre là un vrai talent de conteur. On a la sensation de s’être assis autour d’un feu et d’avoir bu les paroles du conteur qui raconte une histoire dramatique, quelquefois drôle, mais qui raconte aussi la vie comme un vieux sage malicieux, avec beaucoup de poésie. Il y a de la vie de l’auteur dans ce périple, notamment toute la fuite de son pays qu’il a du quitter quand le président Sekou Touré est arrivé au pouvoir et que le père de Libar FOFANA a été emprisonné pendant onze ans.
Ecrivain reçu dans le cadre des rencontres mensuelles des « Voix Auréliennes » le 14 novembre 2005.
Extraits :
p.
32 « - N’na, pourquoi père est-il
malade ? demanda-t-il un jour.
- C’est
le bon Dieu qui le veut ainsi.
- Le
bon Dieu ne nous aime don’ pas ?
- Bakari !
gémit sa mère. Dis vite « Astakhfourlaï », vite.
Le garçon répéta vivement
« Astakhfourlaï », la formule miracle qui efface les paroles avant
qu’elles n’arrivent aux saintes oreilles d’Allah. Son fils sauvé une fois de
plus des tourments de l’enfer, elle lui dit :
- Ne
répète plus jamais cela. Dieu aime tous ses enfants.
- Alors
pourquoi qu’y en a qui sont malades ?
- Je
n’en sais rien. D’abord as-tu fait ta prière ?
- Oui,
mère. Mais pourquoi il faut prier tout le temps ?
- Pour
remercier le bon Dieu pour tout ce qu’il nous accorde.
Bakari regarda autour de lui les divins
présents : deux calebasses, une marmite, un canari et quelques pauvres
vêtements, et songea qu’il n’y avait rien qui justifiât tant de ferveur. »
p.
48 « Il retrouvait ce culte des anciens qui est le fondement des
traditions africaines. C’est un respect profond pour l’âge qu’on apprend très
tôt aux enfants. Ici, chaque enfant a plusieurs parents et grands-parents,
d’innombrables tantes, oncles et cousins. Chaque village est un bouquet d’arbre
généalogiques où tout le monde se perd un peu. Les enfants grandissent
ensemble, dans une même famille aux ramifications complexes, et reçoivent une
éducation commune dispensée par tous les adultes. Tout en assurant l’éducation
des enfants, les hommes entretiennent des traditions qui affirment leur
domination sur les femmes. Cette domination n’est qu’apparente. En réalité, le
pouvoir des femmes est grand. Ce sont elles qui, dans l’ombre des cases, tirent
les ficelles les plus importantes. Alors pour faire croire qu’ils sont les
maîtres, les hommes s’acharnent à rendre compliquées et mystérieuses les
cérémonies les plus simples. »
(Le
griot ) p.54 « Oublier est un privilège de prince, reprit le griot très en
voix. Notre métier est de vous servir de mémoire car que vaut une langue fidèle
quand la mémoire ne l’est plus ? La mémoire, noble assemblée, est une
vieille case où l’on jette les choses en attendant d’en avoir besoin. Un jour
en cherchant telle chose, on trouve telle autre qu’on croyait avoir perdue. Les
mots ne sont que des habits pour la parole. Certains en dissimulent le sens
plus que d’autres. Chacun devrait avoir ses propres mots pour dire le fond de
sa pensée. Mais on ne se comprendrait plus. C’est pourquoi les hommes sont
condamnés à se servir des mêmes mots pour exprimer des choses différentes. Ni
la mémoire ni les mots ne sont donc parfaits. Ainsi notre travail consiste à
conserver la vérité dans deux calebasses fêlées. On rapporte que l’homme blanc
a dû créer des machines pour se souvenir de ses propres paroles. On raconte que
ces machines sont capables de répéter fidèlement chacun de ses mots même après
plusieurs années. Cela montre bien l’importance de notre rôle puisque même
l’homme blanc a besoin d’un griot. »
p.
67 « Les deux hommes écoutaient la nature s’éveiller, et chacun attendait
que l’autre apportât un peu de bois au feu de la conversation qui s’éteignait.
Ils compensaient la pauvreté des sujets par une gaîté sincère, assis dans cette
gêne des premiers instants où le désir de se parler se heurte souvent au manque
d’imagination. »