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Anagnoste : un lecteur parmi tant d'autres
10 mai 2009

Des souris et des hommes John Steinbeck

Un vrai moment de bonheur

Merci au papa de Marie Laurence qui, à l'occasion du dernier loto de l'Ecailler du Sud,  rapporta la savoureuse anecdote et le plaisant quiproquo qui lui firent découvrir "Des Souris et des Hommes". Son enthousiaste, son admiration inconditionnelle pour l'œuvre de Steinbeck et sa force de conviction aboutissent inévitablement à ce que les lecteurs insatiables, à la recherche de nouvelles émotions, partent à la rencontre de ce grand écrivain.

Pour tuer le temps, alors qu'il  effectuait son service militaire en Allemagne, il fut attiré par la couverture d'un ouvrage dont le titre laissait présager des passages plus ou moins croustillants voire libertins. Il emprunta donc au foyer du soldat "Des souris et des hommes"  qui semblait correspondre aux centres intérêts de jeunes hommes sous les drapeaux... C'était son premier vrai livre. Le résultat alla au delà de ses espérances, puisque passé le choc de la découverte de la lecture, il dévora l'œuvre de John Steinbeck et s'embarqua dans un monde merveilleux qu'il n'a jamais plus quitté à savoir celui des livres.


La Préface.

Ce livre est bref. Mais son pouvoir est long.
Ce livre est écrit avec rudesse et, souvent, grossièreté. Mais il est nourri de pudeur et d'amour.
Certains auteurs de l'Amérique du Nord disposent d'un secret impénétrable.
Ils ne décrivent jamais l'attitude et la démarche intérieures de leurs personnages. Ils n'indiquent pas les ressorts qui déterminent leurs actes. Ils évitent même de les faire penser.

"Voilà ce qu'a fait cet homme ou cette femme.Et voilà leur propos. Le reste n'est pas notre affaire. Ni la mienne", semblent dire au lecteur Hemingway, Dashiell Hammet, Erskine Caldwell, James Cain.

Une approche aussi superficielle en apparence devrait, logiquement, exclure toute perspective profonde des êtres et, en eux, tout cheminement spirituel. Ils ne devraient pas avoir de substance, de densité humaine, de vérité.

Or,-et c'est le mystère- ils vivent tous avec une intensité et une intégrité merveilleuse. Avec leurs poids de chair. Avec le mouvement du cœur et les reflets de l'âme.

L'écrivain s'est borné à reproduire les contours les plus simples, à répéter des paroles banales et vulgaires. Et à travers cette indigence, cette négligence barbares, il accomplit le miracle.

Tirées du néant au sein duquel elles reposaient avant qu'il eût pensé à elles, ses créatures, tout à coupe existent. On sent leur souffle et leur présence. Elles s'imposent; Elles obsèdent. Le sang le plus authentique les anime.

Et ce que l'auteur ne s'est pas soucié de faire savoir à leur sujet nous le devinons, nous l'entendons, nous en prenons une certitude intuitive.

Un art singulier nous conduit à combler les vides et les blancs du dessin. Nous achevons le travail du romancier. Nous complétons le canevas. Nous remplissons la trame.

Le livre une fois fermé, ses personnages sont passés en nous, pas seulement avec leurs visages, leurs épaules, leurs rires, leurs gémissements  et leurs meurtres, mais avec leur identité la plus secrète, leur plus souterraine vérité.

Le récit de Steinbeck Des Souris et des Hommes vient s'ajouter à cette série magique.

Rien de plus pauvre comme moyens. Rien de plus brutal comme ton... Les dialogues forment la plus grande partie de l'ouvrage et les mêmes mots éculés y reviennent sans cesse.

Pourtant l'amitié informe et invincible nouée entre Lennie, le doux colosse innocent aux mains dévastatrices, et son copain George, petit bonhomme aigu, a une beauté, une puissance de mythe.
Pourtant la ferme où ils travaillent, les journaliers agricoles qui les entourent, les bêtes et les choses qui les touchent- depuis Slim le roulier, demi-dieu rustique, jusqu'au vieux Candy, jusqu'à la femme en chasse, jusqu'au misérable palefrenier noir et au chien condamné et au révolver rouillé- tout baigne  dans la mélancolie, le drame ample et triste. Et dans la poésie.

La prairie sauvage et le rêve le plus humble, le plus tendre,vivent dans ces vagabonds, dans ces brutes mal détachées de l'animal et de la terre. Le grand vent, la grande plaine, la grande pluie et les grandes tristesses circulent autour d'eux.

Et quand, sur la berge sablonneuse de la Salinas dormante, se défait, par un sacrifice atroce et magnifique, l'aventure de Lennie, l'innocent qui aima tant caresser les peaux des souris, les poils des chiots et des cheveux brillants des femmes, une admiration profonde et stupéfiante se lève pour l'auteur qui, en si peu de pages, avec des mots si simples et sans rien expliquer, a fait vivre si loin , si profondément et si fort. 


Que dire, après cette préface signée Joseph Kessel, si ce n'est exprimer le grand moment de bonheur que procure la lecture de cette œuvre.

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